Mise en place depuis 2017 dans 10 territoires, l’expérimentation Territoire Zéro Chômeurs Longue Durée (TZCLD) est en passe d’être élargie à 50 territoires supplémentaires suite aux votes des parlementaires. Pour rappel, ce dispositif permet à des Entreprises à But d’Emploi (EBE) qui embauchent des privés d’emploi de longue durée en CDI et au SMIC (horaire) de pouvoir se faire financer les salaires par la « réaffectation » des aides sociales (ASS, APL, RSA etc.) dont bénéficiaient la personne.
Présenté comme une proposition pour lutter contre le chômage de longue durée, ce dispositif est-il dans les faits réellement une avancée ?
Des principes fondateurs qui posent questions
Le dispositif TZCLD repose sur 3 grands principes
1) « Personne n’est inemployable pour peu que l’emploi soit adapté à chacun »
La notion d’employabilité revient à faire porter la cause du chômage sur les personnes elles-mêmes. Cette notion permet notamment aux gouvernements et aux capitalistes de se dédouaner de leurs responsabilités en matière de chômage et de destruction d’emploi.
2) « Ce n’est pas le travail qui manque mais l’emploi »
C’est le rôle de l’Etat de s’assurer que les besoins de la société et les droits fondamentaux soient couverts dont le droit à l’emploi. Aujourd’hui, une partie de ces besoins et de ces droits n’est plus assurée par l’action de l’Etat. En effet, le recentrage par les gouvernements successifs sur « le coeur de métier » a entrainé un service public centré sur les missions régaliennes et abandonnant les autres champs à l’externalisation et la privatisation en rabougrissant les missions et en se désengageant y compris financièrement. Les effets catastrophiques de ces politiques sont aujourd’hui prégnants notamment dans la fonction publique hospitalière en cette période de crise sanitaire et dans le service public de l’emploi face à la crise structurelle qui s’annonce.
3) « Ce n’est pas l’argent qui manque »
L’ activation des dépenses dites passives est une vieille lune que la CGT a combattu dès l’instauration du PARE/PAP. Le financement des entreprises (quelles qu’elles soient) par la « réallocation » des cotisations sociales constitue une attaque sur la protection sociale que nous ne saurions cautionner. Une telle acceptation équivaudrait à cautionner le détournement de parties extrêmement importantes de la solidarité nationale en matière de droits économiques et sociaux fondamentaux pour leurs actuels bénéficiaires.
Un bilan au bout des trois ans pas aussi flatteur qu’on veut bien le laisser entendre
1) Des activités en concurrence
Dans son avis au CESE fin 2015, la CGT pointait « des risques de concurrence et de substitution vis-à-vis des activités et des emplois existants ». C’est malheureusement ce qui s’est produit avec :
– Des emplois créés dans certains territoires par ces EBE devraient relever de la fonction publique territoriale (entretien d’espaces verts ou de l’espace public, entretien des cimetières, médiation dans les transports). Ils remettent en cause les missions et les statuts des agents de la fonction publique.
– Dans d’autres territoires, une concurrence directe avec des emplois existants : pompiste, lavage de voitures, photocopie etc. avec un risque de fragiliser les TPE de ces secteurs d’activité dans le bassin.
2) Des attaques contre les droits des salariés
La CGT, dans son avis au CESE alertait sur le fait que « l’expérimentation ne doit pas fragiliser les droits individuels et collectifs des salariés et privés d’emploi ». Or l’absence de convention collective, ne permet pas de reconnaissance des qualifications ni de progressions salariales : les salariés sont embauchés et restent au SMIC. La formation est quasiment inexistante et la flexibilité est la règle, qu’elle soit liée au peu d’heures effectuées ou à la modification des tâches et des activités. De plus, il est à noter que malheureusement des cas de discrimination syndicale notamment à l’encontre de la CGT ont été relevés.
3) Une mise à l’écart du Service Public de l’Emploi
Alors que ce dispositif est censé être un tremplin pour un retour à l’emploi durable, le Service Public de l’Emploi est cantonné dans un rôle de « pourvoyeur » de liste de privés d’emploi éligibles au dispositif. Ses agents n’interviennent plus dans le suivi et l’accompagnement au service de ce public fragilisé.
4) Un budget et un nombre d’emploi créés qui interrogent ?
Selon ATD Quart monde « Ces entreprises particulières sont financées, pour l’essentiel, par la réaffectation des coûts et des manques à gagner liés la privation durable d’emploi. Des coûts estimés à au moins 43 milliards d’euros annuels, soit au moins 18 000 euros par an et par personne durablement privée d’emploi ». Ces estimations sont remises en cause par un rapport IGAS/IGF qui les estiment très sous évaluées.
Déployée dans 10 territoires expérimentaux, cette expérimentation a conduit à la création de 11 « entreprises à but d’emploi », majoritairement sous statut associatif ; en juin 2019, 742 personnes étaient embauchées dans ces entreprises.
Et demain ?
Loin de corriger les dérives constatées depuis 3 ans, l’élargissement de l’expérimentation, voire sa généralisation à terme, risque de les amplifier.
La « réallocation » de fonds d’une partie des cotisations sociales pour l’instant limitée aux allocations logement risque également à terme de concerner les allocations chômage.
Celle-ci sera d’ailleurs facilitée par le transfert opéré des cotisations chômage salariales vers la CSG. Il est par ailleurs à noter que le versement des allocations chômage à une entreprise en contrepartie d’une embauche a déjà existé sans que cela ait produit ses effets sur le retour à l’emploi durable.
L’élargissement et la potentielle généralisation du dispositif va attaquer de manière frontale les missions et les statuts de la fonction publique.
Si aujourd’hui seule la FP territoriale est concernée, demain ce sont potentiellement l’ensemble des missions de l’Etat ou des activités de la fonction publique hospitalière qui pourraient être percutées.