Le Plan National de Réforme
De quoi parlons-nous ?
Le sujet peut sembler peu engageant, pourtant il est pour nous, organisation syndicale, essentiel. En effet, Le programme national de réforme (PNR) expose la stratégie du gouvernement pour répondre aux grands défis de l’économie française et pour mettre en oeuvre les objectifs de la stratégie de l’Europe. Le PNR s’inscrit depuis 2011 dans le cadre du Semestre européen, qui articule son examen avec celui du programme de stabilité. La règle est fixe : Les États européens se sont accordés en décembre 2011 pour renforcer leur discipline budgétaire. C’est de cette volonté qu’est né le Traité sur stabilité, la coordination et la gouvernance, aussi appelé « pacte budgétaire ». Dans le texte, l’article 3 du Traité explique que « la situation budgétaire des administrations publiques doit être en équilibre ou en excédent ».
C’est donc ce principe qui guide et oriente toute la politique conduite par l’UE. Nous allons voir en quoi les recommandations du dernier PNR pour la France sont à la fois structurantes dans la politique du gouvernement, et assises sur un certain nombre de postulats que nous récusons.
Que dit le PNR ?
Il définit un certain nombre de mesures visant à utiliser les recettes (notamment les recettes exceptionnelles) pour réduire la dette publique, rationaliser les dépenses publiques et axer la politique économique liée à l’investissement sur les domaines spécifiés qui aideront à répondre à la deuxième recommandation relative à la zone euro en ce qui concerne la reconstitution des marges budgétaires, l’amélioration des finances publiques et le soutien à l’investissement.
Simplifier le système d’imposition pour les entreprises (sic).
Mesures destinées à améliorer « l’employabilité ». (Type loi travail !)
L’analyse de la Commission l’a amenée à conclure que la France connaît des déséquilibres macroéconomiques. Les déséquilibres recensés sont liés en particulier à un endettement public élevé et à un dynamisme insuffisant de la compétitivité dans un contexte de faible croissance de la productivité.
Voyons en quoi ces analyses sont biaisées
Sur le déficit public
Dans son programme de stabilité pour 2019, le gouvernement prévoit que le déficit nominal augmentera et passera de 2,5 % du PIB en 2018 à 3,1 % du PIB en 2019, puis qu’il diminuera progressivement pour atteindre 1,2 % du PIB en 2022. Pour 2019, l’augmentation prévue du déficit nominal, qui est confirmée par les prévisions du printemps 2019 de la Commission, s’explique principalement par l’effet ponctuel d’accroissement du déficit exercé par la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi en un allègement pérenne de cotisations sociales patronales.
La France justifie donc le fait que le creusement de son déficit soit du essentiellement aux effets d’aubaines consenties aux entreprises (notamment aux grosses entreprises, puisque ce sont elles qui bénéficient le plus directement du CICE et des réductions des cotisations sociales). Elle s’engage par ailleurs à ramener son déficit public à 1.2% dès 2022. Ce qui augure de mesures d’économies qui seront toutes affectées aux travailleurs (gel des salaires, dans la fonction publique notamment, avec réduction des emplois), réforme des retraites, de l’assurance chômage, et rationalisation de tout le système d’aide social au travers la création du Revenu Universel d’Activité qui n’est pas sans poser un grand nombre de questions sur le devenir de notre modèle social et de notre système de Sécurité sociale solidaire et universel (système déjà bien mis à mal depuis plusieurs années).
Nous n’en sommes cependant qu’aux prémisses puisque comme le précise le rapport « les mesures nécessaires pour atteindre les objectifs prévus en matière de déficit à partir de 2020 n’ont pas été définies ».
Cette carte montre que le discours catastrophiste est loin d’être fondé. La France est sous le seuil des 3% de déficit public, avec 2,5% du PIB au 2nd trimestre 2018. À la même période en 2016 et 2017, le déficit était au plus haut avec 3,6% en 2016.
Sur la dette publique.
Le Conseil européen réaffirme la nécessité pour la France de se conformer au pacte de stabilité dès 2020. Le montant de sa dette nominale excède toujours les 60% de son PIB. De manière générale, le Conseil estime que les mesures nécessaires pour se conformer aux dispositions du pacte de stabilité et de croissance devraient être prises dès 2019. Il importerait d’utiliser toutes les éventuelles recettes exceptionnelles pour réduire encore le ratio de la dette publique.
« Les efforts d’assainissement des finances publiques n’ont que modérément réduit le ratio des dépenses publiques, qui, à 56 % en 2018, demeure le plus élevé de l’UE. » Passons sur la terminologie adoptée, même si parler d’assainissement des finances en dit long sur l’idée que l’UE se fait de la dépense publique (qui rappelons-le tout de même est au fondement de l’Etat social et de tout l’appareil démocratique). Ce doigt accusateur sur la dépense publique est assez insupportable, non seulement il ne réfère en rien à la nature de ces mêmes dépenses, il ne dit rien non plus de la richesse que créent ces dépenses et il insinue de façon biaisée une dimension comparative avec les autres pays de la zone euro sans donner le moindre critère retenu. La France serait le mauvais élève de l’Europe en termes de dépenses publiques.
La France dépense trop par rapport à ses voisins. Ceci apparaît comme une raison suffisante pour mettre la priorité sur la réduction des dépenses publiques.
Dépenses des administrations publiques en 2016 (en % du PIB)
Si nous nous référons à ce graphique en effet la France est bien en tête des pays qui consacre la part la plus importante de son PIB à la dépense publique.
Quelques précisions maintenant
Rappelons tout d’abord que les dépenses publiques ne constituent pas une part du PIB. Si la phrase ci-avant n’est pas fausse en elle-même (il est toujours possible de comparer une grandeur à une autre), il n’en reste pas moins qu’elle apporte peu d’information et peut surtout induire en erreur en amenant à penser que la sphère publique dépense plus de la moitié de la richesse nationale (c’est d’ailleurs ce qu’a affirmé récemment le président de la République).
La dépense publique ne peut en rien être assimilée à une destruction ou un prélèvement de richesses créées par les entreprises privées : en effet le secteur public crée également des richesses. Si on prend le calcul du PIB par la demande il comprend les dépenses de consommation finale des ménages et des administrations publique + l’investissement de tous les acteurs économiques (ménage, entreprises, administration) + les exportations – les importations. Il est frappant de constater que d’un côté on encourage la consommation des ménages et l’investissement du privé et que de l’autre on stigmatise les dépenses publiques.
L’imposture des comparaisons internationales concernant les dépenses publiques
Le ratio dépenses publiques sur PIB sert surtout à comparer les pays entre eux mais comme nous allons le voir ces comparaisons sont largement illusoires : une large partie de la dépense publique en France est liée à des services qui, dans d’autres pays, sont payés par les citoyens non pas via les prélèvements obligatoires mais via des dépenses directes au secteur privé (ex : les retraite par le biais de fonds privés, les frais de santé ou de scolarité etc.).
Si l’UE veut imposer une uniformisation des finances publiques dans la zone euro, elle ne peut le faire sans une harmonisation, pour commencer, des systèmes sociaux, de l’organisation des états et de ce qui ressort de la sphère publique. Sans cela elle impose aveuglément des directives qui non seulement sont biaisées, mais conduisent à aggraver l’état du malade, là où elle pense apporter le remède.
Santé, retraite, chômage: sur ce graphique, on voit que la France n’est jamais la première en termes de dépenses sociales, mais que sa place de « champion » lui vient de sa régularité à figurer dans le Top 5 des pays de l’OCDE. Ce qui montre à la fois l’inanité des modèles comparatifs quand ils ne définissent pas de critères précis, et la spécificité du modèle français qui mutualise dans tous les domaines, quand d’autres pays se concentrent sur quelques-uns, laissant les autres sous le giron du privé (ce qui ne veut pas dire que ces dépenses ne portent pas sur les ménages, juste qu’elles n’apparaissent pas dans la dépense publique).
La France n’est donc pas la plus dépensière si nous voulons reprendre par catégories. Pour les pensions de retraite et de réversion, principal poste de dépense publique dans la plupart des pays riches, elle arrive ainsi en troisième position (13,9% du PIB en 2015, derrière la Grèce et l’Italie). Elle se classe même septième pour les « aides au revenu à la population d’âge actif » (5,4% du PIB en 2017), qui regroupent les allocations chômage, les prestations familiales et celles liées à l’incapacité (invalidité, maladie, accidents du travail).
D’un pays à l’autre, les dépenses publiques ne recouvrent pas la même réalité
Elles dépendent de choix de société quant à la volonté ou non de mutualiser les risques de la vie sur l’ensemble des citoyens, de réduire les inégalités, sur la part assignée au public et au privé pour la fourniture de services sociaux ou en infrastructure. Elles dépendent également des tendances démographiques (part des actifs par rapport aux retraités, nombre d’enfants scolarisés) ainsi que des conventions comptables (Par exemple, les crédits d’impôt sont comptés en positif dans les dépenses publiques, tandis que les exemptions d’impôts sont déduites des recettes. Ainsi, la transformation du CICE en abaissement de charges pour les entreprises fera automatiquement baisser les dépenses publiques de près de 1% de PIB).
L’exemple des Retraites
Prenons l’exemple des retraites qui constituent l’un des premiers postes de dépense publiques partout en Europe. Si la moyenne des pays de l’UE se situait à 10% du PIB en 2016 (10,8% pour la zone euro), certains pays comme la France étaient au-dessus à 13,5% et d’autres comme les Pays-Bas bien en dessous (6,7%). Une des différences majeures tient au fait qu’on a d’un côté un système public par répartition et de l’autre un système mixte public/privé. Les comparaisons basées sur le rapport des dépenses publiques de retraite au PIB sont donc invalides puisqu’elles ne comparent pas la même chose : le coût pour les citoyens des retraites privées est pas définition exclu.