Alors que le texte initial du Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale 2025 (PLFSS) a été retoqué largement par l’Assemblée Nationale, le gouvernement Barnier a utilisé le 47.1, bafouant toute démocratie afin de balayer ce vote et de transmettre au Sénat son texte initial. C’est donc sans surprise que ce gouvernement a voulu nous imposer ce PLFSS de régression sociale avec un 49.3 et qu’il a été censuré en suivant. Pour autant, même si le PLFSS 2025 ne s’appliquera pas nous devons garder en têtes toutes les mesures dont il est constitué qui risquent de revenir sous d’autres formes (décrets…).
Toujours plus d’exonération de cotisations sociales
Les mesures annoncées dans ou autour de ce PLFSS 2025 sont une fois de plus des décisions autoritaires qui vont principalement impacter les travailleurs, les précaires et les retraités, tout en maintenant une politique d’exonération de cotisations. Pour la CGT, il est urgent d’en finir avec ces lois de financement de la Sécurité sociale qui reposent sur une vision comptable.
Une vision comptable dont l’objectif n’est pas une « bonne gestion » mais l’adaptation de la Sécu à des choix politiques en faveur du patronat, en l’exonérant toujours plus de cotisations sociales. Rappelons que les exonérations ont atteint quasiment 80 milliards en 2023, soit 20 milliards de plus qu’en 2021. Il est d’ailleurs noté noir sur blanc dans le PLFSS que le déficit (18 milliards) est la conséquence d’un manque de recettes lié à une accumulation de dispositifs d’exonérations de cotisations sociales. Et ce gouvernement, dans la continuité, pérennise dans l’article 6 de ce PLFSS ces dispositifs en les regroupant dans un dispositif unique. Concernant les exonérations sur le SMIC, le texte initial ne prévoyait pas leur suppression, mais leur lissage jusqu’à trois fois le SMIC. Cependant le Sénat est revenu sur cette mesure et a décidé de maintenir inchangés les allégements au niveau du SMIC.
D’autres exonérations accordées aux agriculteurs lors de leur mobilisation en 2023 seront également pérennisées en ce qui concerne les salariés saisonniers et les jeunes entrepreneurs agricoles (article 4).
Les sénateurs ont également durci ce texte en introduisant une journée de solidarité supplémentaire de 7 heures pour financer l’autonomie. Le Sénat fait clairement le choix d’une mesure anti-sociale qui fait payer les travailleurs en contrepartie des exonérations de cotisations accordées au patronat (article 7).
De plus en plus d’exonérations, de moins en moins compensées par l’État
Les exonérations de cotisations sociales sont en partie compensées par l’État à travers l’impôt (c’est la Loi Veil de 1994 qui instaurait cette compensation intégrale par l’État, en 2018 le gouvernement Macron, a mis fin à cette compensation intégrale). Mais là encore, les cadeaux fiscaux accordés aux plus riches ont pour conséquence des comptes de l’État dans le rouge. Par ricochet, ce sont les recettes de la Sécu qui vont être touchées puisque le gouvernement a décidé d’abaisser de 650 millions ces compensations (article 10).
Résultat, le gouvernement en profite pour faire entrer un peu plus les marchés financiers dans la Sécurité sociale en augmentant le plafond d’emprunt de l’ACOSS à 65 milliards et en faisant passer la limitation d’emprunt de 12 mois à 24 mois (article 13).
Les conséquences de cette baisse de recettes sont évidemment sans appel et gravissimes pour notre système de Sécurité sociale et notre système de santé
Un ONDAM qui condamne l’hôpital public et le système de santé
Avec un ONDAM (Objectif National de Dépenses d’Assurance Maladie) à 2,8 %, le secteur hospitalier, déjà en grande difficulté, aura du mal à y survivre. Pour la CGT santé, il faudrait un ONDAM entre 7 et 10 % pour maintenir le système déjà dégradé et autour de 14 % pour l’améliorer. Nous sommes loin du compte.
C’est une médecine à deux vitesses qui est en train de se mettre en place où seuls les plus riches pourront accéder à un système de santé de qualité. Pour la grande majorité de la population, se soigner va devenir de plus en plus compliqué, pour ne pas dire infaisable.
Un basculement de notre système de Sécurité sociale vers l’assurantiel
Réduction de la prise en charge par l’Assurance Maladie :
Une première proposition avait pour conséquence que compte tenu du doublement de la franchise, décidé début 2024, une consultation ne serait plus remboursée qu’à hauteur de 54% par la Sécu. En effet, le taux de remboursement des consultations médicales par l’Assurance Maladie passerait de 70 % à 60 %, transférant ainsi la charge sur les mutuelles. Cela s’appliquait déjà aux consultations dentaires depuis octobre 2024, ainsi que lors de la réforme sur le 100 % santé.
Cette augmentation du ticket modérateur compense pratiquement avec des montants identiques, l’augmentation des tarifs des médecins. Ce sont les malades qui vont payer l’augmentation des médecins !! Celui qui n’est pas reconnu en maladie grave ou de longue durée se trouverait dans l’obligation de prendre une mutuelle, sans quoi il ne pourrait plus se soigner. Les assurances complémentaires deviennent le passage obligé. Or, outre le fait qu’elles représentent le privé, les assurés sociaux en seront de leur poche car il ne fait aucun doute que les complémentaires santé vont répercuter ce transfert sur leurs tarifs.
De plus, 2,5 millions de Français, soit 3,6% de la population, mais plus de 14% des chômeurs et 11% des retraités les plus pauvres n’ont pas de complémentaire santé. C’est une remise en question d’une des missions fondamentales de la Sécurité sociale : la garantie de l’accès aux soins pour toutes et tous.
Le gouvernement vient d’acter une nouvelle proposition qui va dans le même sens, avec les mêmes conséquences et qu’il veut imposer par arrêté ministériel. Au final le remboursement des consultations médicales baisserait de 5 points au lieu de 10 points (proposition initiale) passant à 65% au lieu de 70% aujourd’hui, mais elle concernerait aussi les médicaments pour lesquels il existe trois taux de remboursement à l’heure actuelle (65%, 30% et 15%).
Indemnités journalières pour arrêt maladie, sous-déclaration des AT-MP = dégradation des droits des salariés en arrêt et cadeaux aux entreprises
Les indemnités journalières (IJ) passeraient de 1,8 SMIC à 1,4 SMIC, entraînant une réduction des dépenses de 600 millions d’euros. Cette mesure va baisser le niveau des indemnités journalières tout en les déconnectant du salaire. Ce changement de calcul amorce un changement fondamental dans l’indemnisation des arrêts maladies qui n’aurait plus vocation à être un revenu de remplacement mais à terme un forfait minimum.
Cela aurait évidemment des conséquences sur les contrats de prévoyance dans les entreprises qui en ont. En effet, ces contrats risquent d’être revus à la baisse pour les salariés. Pour ceux qui n’ont pas de prévoyance qui vient compléter les indemnités journalières, s’arrêter pour maladie va devenir de plus en plus compliqué. De plus, notons que les économies que veut faire ce gouvernement sur le dos des malades en arrêts maladie correspondent à la baisse de la compensation (650 millions) des exonérations de cotisations sociales qu’il veut faire passer dans ce PLFSS.
En résumé, l’État fait des cadeaux au patronat à coup d’exonérations sur le dos des travailleurs, exonérations qu’il ne veut plus compenser et pour ça il veut nous imposer un système à l’américaine tourné vers l’assurantiel privé, individuel, cher et peu fiable.
La sous-déclaration des AT-MP à l’origine de la remise en cause des indemnités journalières maladie
L’augmentation du budget des indemnités journalières, largement mise en avant pour légitimer cette politique de remise en cause de l’indemnisation des arrêts maladie, est en partie le résultat de l’augmentation des AT-MP qui ne sont pas déclarés et qui sont pris en charge par la branche maladie. En effet, la loi de financement de la Sécurité sociale prévoit chaque année un montant que la branche AT-MP doit reverser à la branche maladie en compensation. Cette somme s’appuie sur un rapport rendu tous les trois ans. Cette année, au vu de l’augmentation de la sous-déclaration, ce rapport évaluait entre 2 à 3,6 milliards d’euros cette compensation, ce qui devrait créer un léger déficit de la branche AT-MP exclusivement financée par les employeurs.
Mais le gouvernement veille et a volé de suite au secours du patronat en limitant dans l’article 25 à 1,6 milliard d’euros le transfert de la branche accident du travail et maladie professionnelle vers la branche maladie.
Résultat, ce sont les salariés en arrêt maladie qui doivent payer une fois de plus les cadeaux concédés au patronat. À ceci vient s’ajouter la volonté du gouvernement d’imposer un jour de carence d’ordre public qui ne sera pas indemnisé du tout, ni par la Sécu, ni par l’employeur, ni par la prévoyance.
Ces attaques contre les arrêts maladies sont symboliques d’une volonté politique de changer de système de Sécurité sociale pour aller vers un système où l’assurance privée va prendre le pas sur la Sécu. Un système qui, à l’inverse de la Sécurité sociale issue de 1945, ne garantirait aucun droit.
Prise en charge de la perte d’autonomie : vers un système assurantiel
Le gouvernement, avec l’article 21, crée une allocation unique remplaçant le financement de la partie santé par la Sécurité sociale et de la partie autonomie (APA) par les départements.
À terme, cette allocation, qui serait gérée par la CNSA (Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie), risque de devenir une allocation d’aide sociale minimale financée uniquement par l’impôt, nécessitant des assurances individuelles privées pour ceux qui en auraient les moyens pour financer leur perte d’autonomie.
La situation des EHPAD, dont 85 % sont déjà en déficit, ne peut que se dégrader davantage. Là encore, c’est une prise en charge de la perte d’autonomie à deux vitesses qui nous attend, où seuls les plus riches pourraient se financer une place dans un établissement.
Médicaments : les pénuries s’amplifient pour toujours plus de profit pour les entreprises
Alors que la pénurie de médicaments s’amplifie, comme le montre l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des Produits de Santé : « En 2023, il y a eu plus de 5 000 ruptures de médicaments déclarées, c’est 30 % de plus qu’en 2022, six fois plus qu’en 2018 ».
Le gouvernement, à travers ce PLFSS 2025, ne s’attaque pas au cœur du problème, à savoir la marchandisation et la mise en concurrence des entreprises pharmaceutiques, qui sont avant tout guidées par l’appât du gain, créant ces pénuries pour plus de profits. Bien au contraire, avec l’article 9, le gouvernement simplifie et pérennise un dispositif de la LFSS 2024 largement en faveur de ces entreprises.
En effet, l’an passé, des cadeaux avaient été faits aux laboratoires pharmaceutiques en modifiant la clause de sauvegarde qui permettait qu’au-delà de 1,6 milliard de chiffre d’affaires, les laboratoires soient taxés par l’Assurance Maladie. Le PLFSS de l’an passé a modifié cette clause de sauvegarde en la faisant reposer sur les montants remboursés par l’Assurance Maladie et non plus sur le chiffre d’affaire des laboratoires, ce qui représente une économie évaluée à 35 % de bénéfices pour ces derniers, consolidée cette année. Pendant ce temps, le pôle médicaments sans ordonnance de Sanofi va être vendu (50 % du capital pour 15 milliards d’euros) à un fonds d’investissement.
Pour la CGT, c’est inacceptable. Il est urgent de sortir la santé de la spirale capitaliste avec la création d’un pôle public de la santé englobant les médicaments et le matériel médical. Celui-ci permettrait de démarchandiser le médicament et le matériel médical, mais aussi d’avoir un outil adapté aux besoins thérapeutiques et de maîtriser les prix.
Des malades toujours plus surveillés
Deux articles de ce PLFSS durcissent certaines prescriptions. Il s’agit, dans l’article 16, de la création d’un nouveau document que devrait remplir le médecin afin de justifier toujours plus les prescriptions pour le transport des malades et pour les actes d’imagerie. Cet article vient d’être renforcé par le gouvernement dans un décret du 30 octobre dernier qui élargit la demande de justification à toute prescription ce qui remet clairement en question le secret médical.
Le Sénat a durci cet article en rajoutant une « amende » sous forme forfaitaire pour les patients qui n’honoreraient pas un rendez-vous avec un professionnel de santé. Les sénateurs imposent également que le dossier médical partagé soit systématiquement consulté avant toute prescription.
Il s’agit aussi, dans l’article 20, de permettre la transmission de données pour des dispositifs médicaux issus de nouvelles technologies au médecin prescripteur et au service médical de la Sécu afin d’en contrôler l’utilisation. En fonction de cette transmission de données, la prescription pourra prendre fin. Prenons l’exemple de l’apnée du sommeil : si la personne n’utilise pas l’appareil qu’on lui a prescrit une nuit dans la semaine pour faire une pause, la prescription pourrait prendre fin.
AT-MP et faute inexcusable de l’employeur : vers une remise en cause d’une meilleure indemnisation
Avec ce PLFSS, c’est le retour cette année encore de la remise en cause de l’indemnisation des AT-MP dans le cadre de la faute inexcusable de l’employeur, qui avait été retoquée dans le PLFSS 2024. En effet, l’article 24 du nouveau PLFSS, s’il est adopté, rendrait caduque une décision de la Cour de cassation de 2023 favorable aux victimes d’AT-MP dans le cadre de la faute inexcusable de l’employeur.
Pour ces victimes, c’est la double peine car, d’une part, elles ne pourraient plus aller en justice afin d’obtenir une indemnisation complémentaire à leurs rentes bien trop basses.
D’autre part, ce PLFSS attaque aussi la prise en charge intégrale par les employeurs des conséquences pour les victimes de leur accident de travail ou maladie professionnelle.
En effet, avec ce PLFSS, cette prise en charge, qui n’avait pas de limite financière dans ce que pouvait verser l’employeur puisqu’il y avait faute inexcusable de sa part, serait en partie forfaitisée et donc limitée et amoindrie. C’est un recul sans précédent pour les victimes d’AT-MP dans le cadre de la faute inexcusable de l’employeur !
Gel des pensions de retraites et régimes spéciaux
Le gouvernement s’attaque une fois de plus aux retraités dans l’article 23. L’objectif est toujours le même : Baisser la part consacrée aux retraites et de fait le niveau des pensions.
Pour y parvenir, les sénateurs pérennisent dans la dernière version, une revalorisation des pensions de retraite de base à hauteur de la moitié de l’inflation au 1er janvier 2025, et ensuite une revalorisation au niveau de l’inflation de la pension de base des retraités dont le montant total des pensions (base + complémentaire) est inférieur au SMIC. Première version, deuxième version, même combat, il y a, au final, gel des pensions pour tous.
Ce gel des pensions vient s’ajouter aux futures hausses des mutuelles, comme vu plus haut, qui représentent une part importante de leur budget. Beaucoup de retraités vont être précipités dans une grande précarité.
L’article 8, quant à lui, poursuit la dernière réforme des retraites de Macron qui a mis fin aux régimes spéciaux en transférant les fonds propres de ces régimes au plus tard au 30 juin 2025 vers les fonds propres de la CNAV (Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse). C’est la fin de régimes pionniers gagnés par la lutte, qui étaient protecteurs pour les salariés qui en dépendaient. Pour la CGT, ces régimes doivent être rétablis grâce à l’abrogation de la réforme des retraites.
Bataille des amendements sur le Service Médical : la CGT ne laissera pas faire
La mobilisation des agents a empêché la direction de la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie de mettre en œuvre son projet de démantèlement du Service Médical de la Sécurité Sociale. En réponse, le gouvernement a décidé de venir à leur secours en tentant de faire passer discrètement ce projet par des amendements au PLFSS.
Pour rappel, ce projet mettrait fin à l’indépendance du service médical, qui protège pourtant les assurés. Grâce à nos interventions auprès des députés, une première tentative du gouvernement (amendement 2233) a été largement rejetée par l’Assemblée, qui a déclaré l’amendement irrecevable. En attendant le probable recours à l’article 49-3, le gouvernement tente un nouveau passage en force devant le Sénat.
Faisons en sorte que l’amendement 1332 soit également rejeté.
Conclusion
Les indemnités journalières (IJ) passeraient de 1,8 SMIC à 1,4 SMIC, entraînant mécaniquement une réduction conséquente des indemnités journalières. Ce PLFSS 2025 acte un tournant et une transformation du Système de Sécurité sociale issu de 1945, que le monde entier nous envie, en un système à l’américaine tourné vers l’assurantiel et les fonds de pension pour la retraite.
Pourtant la France dépense pour sa santé beaucoup moins que les États-Unis. En 2022, elle y consacrait 12,1% du PIB, contre 16,6% pour les États-Unis. Un système coûteux pour les individus et qui ne garantit aucun droit.
Pour la FNPOS CGT, il est urgent de réagir et d’en finir avec les lois de financement de la Sécurité sociale. Il est urgent de stopper ce changement de système et de revenir aux fondamentaux de la Sécurité Sociale de 1945.
C’est pourquoi la FNPOS CGT revendique une Sécurité sociale à 100 % financée par la cotisation sociale et gérée par les représentants des travailleurs. Un « 100% Sécu » qui assure un droit à la santé et l’autonomie, à la retraite, à la famille et à l’emploi.
Il s’agit là de 2 projets de société qui s’opposent ; D’un côté celui du gouvernement et du patronat qui ouvre la voie à l’assurantiel, la capitalisation et l’aggravation des inégalités ; De l’autre celui de la CGT, syndicat à l’origine de la Sécurité sociale, qui veut replacer l’humain au centre de la société en renforçant un système solidaire basé sur la cotisation et la répartition.