Relevé de décision du comité de suivi de l’ANI AT/MP : un texte qui répond aux demandes du patronat et qui sert ses intérêts !

Il est urgent de rappeler que la branche AT/MP de la Sécurité Sociale est exclusivement dédiée aux travailleurs afin de réparer et prévenir les AT/MP.
Partage cette page

Ce relevé de décision est le résultat de l’ANI AT/MP du 15 mai 2023 auquel s’était opposée notre Fédération alors qu’il avait été signé par toutes les organisations syndicales.

Comme nous avions pu l’écrire il y a un an cet accord allait donner la main au patronat sur les AT/MP en créant un conseil d’administration présidé exclusivement par lui.

Cet accord avait un autre objectif central pour le patronat : la remise en question d’une décision de la Cour de Cassation de 2023 qui lui était défavorable. En effet, Depuis 2023 cet arrêt de la Cour de Cassation permet aux victimes d’accident de travail ou de maladie professionnelle relevant de la faute inexcusable de l’employeur de percevoir une indemnisation supplémentaire afin de compléter la rente octroyée par la Sécurité sociale. Cette indemnisation qui peut être conséquente est entièrement à la charge de l’employeur qui est en faute.

 La législation de la Sécurité sociale ne constitue pas une limite indépassable à l’indemnisation d’un salarié.

Le patronat grâce à l’ANI ATMP a réussi à « embarquer » comme il le dit lui-même (AEF 26/06/2024) tout le monde pour que cette décision devienne caduque. Cette première étape de l’ANI franchie, cela fait un an qu’il s’emploie à faire transposer cet ANI en Loi afin que cette remise en cause devienne effective et que les victimes ne puissent plus y prétendre.

Une première tentative avec l’aide du Gouvernement à travers l’article 39 de la Loi de Financement de la Sécurité Sociale de l’automne dernier avait échoué grâce en particulier à la pression des associations de victimes.

Dans la foulée le patronat avait à nouveau poussé les partenaires sociaux à proposer une nouvelle rédaction de cet article qui avait reçu une fin de non-recevoir cette fois ci du Gouvernement.

Nous voici donc à nouveau avec un texte qui veut faire passer par la fenêtre dans la Loi de Financement de la Sécurité Sociale de 2025 ce qui n’est pas passé par la porte jusqu’à présent : casser la décision de la cour de cassation de 2023.

1 - Remise en question de la décision de la cour de cassation de 2023

Les premières lignes du relevé qui nous est présenté est clair puisqu’il dit vouloir « garantir que la nature duale de la rente AT/MP ne soit pas remise en cause ».

Avec ce texte, il serait inscrit dans le code de la Sécurité Sociale à travers la Loi de Financement de la Sécurité Sociale de 2025 que la rente AT/MP soit duale, c’est-à-dire qu’elle indemnise le préjudice professionnel (pertes de gains professionnels et incidence professionnelle de l’incapacité permanente) et le préjudice personnel (Déficit Fonctionnel Permanent (ou DFP) qui correspond aux conséquences dans la vie courante d’un accident).

Or comme notre Fédération l’a largement développé dans une note publiée le 29 janvier dernier le caractère dual de la rente n’est pas inscrit dans le code de la sécurité sociale. En l’inscrivant dans la Loi cela rendrait caduque automatiquement la décision de la Cour de Cassation. Les victimes ne pourraient alors plus prétendre à un complément d’indemnisation puisque la rente couvrirait tous les préjudices. Contrairement à ce qui avait été annoncé, aucune amélioration du niveau d’indemnisation des rentes n’est réellement prévue puisque comme le dit le texte il faut rester dans une enveloppe financière sans moyens supplémentaires.

Les seuls gagnants sont évidemment les employeurs qui n’auront plus le risque de devoir dédommager les victimes devant les tribunaux.

La FNPOS CGT condamne un texte qui enlève des droits aux victimes et qui a pour finalité de sécuriser financièrement les employeurs.

2 - Au nom de l’indemnisation de la faute inexcusable de l’employeur c’est l’architecture actuelle qui est modifiée

Le texte ne s’arrête pas là puisqu’avec l’introduction de la dualité de la rente dans le code de la sécu, c’est une refonte de de l’indemnisation des AT/MP qui se joue comme le précise le titre du 1er paragraphe « Nouvelle architecture générale d’indemnisation des AT/MP ».

Concrètement la dualité de la rente à la base de cette refonte introduirait une double évaluation par le médecin conseil de la sécu des séquelles d’AT/MP des victimes. Cette modification n’est pas sans conséquence puisque c’est l’évaluation du médecin conseil à travers un barème qui est à la base du calcul de l’indemnisation des victimes.

Le texte nous dit que d’une part le médecin conseil de la sécu devrait évaluer sur la base du barème actuel, la part dite « professionnelle » de la rente. Or un médecin conseil n’est pas un médecin du travail qui connait les postes de travail des salariés, ce qui peut questionner sur la légitimité d’une telle évaluation. Si nous avions l’esprit mal tourné nous pourrions imaginer qu’à terme un glissement de cette évaluation pourrait se faire vers les médecins du travail, dépendants des employeurs !!!

D’autre part le médecin conseil va devoir également évaluer le Déficit fonctionnel permanent (DFP) sur la base d’un nouveau barème, le barème du concours médical. Détail non négligeable inscrit tel quel dans le relevé : « Le barème du concours médical ne prend pas en compte tous les types de maladies professionnelles (spécialement les cancers), ce qui nécessitera des travaux supplémentaires… ». Il va sans dire que nous ne pouvons laisser un chèque en blanc au patronat sur une question aussi importante que celle des cancers liés aux conditions de travail.

Enfin, notre Fédération émet une grosse inquiétude quant à l’indemnisation de la partie DFP dans le cadre de la faute inexcusable de l’employeur puisque le texte envisage de transformer une partie de la rente qui découlerait du DFP en capital forfaitaire déconnecté du salaire : « La réparation du DFP s’effectue à partir d’un barème de capitalisation forfaitaire inspiré du barème Mornet…sans référence aux revenus de la victime…le capital qui en résultera sera converti en rente. Une sortie partielle du capital permettra à la victime de financer rapidement les coûts liés à l’aménagement de son domicile…le montant de ce capital est déduit à due proportion du montant de la part fonctionnelle et donc du montant final de la rente… le montant versé ne pourra excéder un PASS (Plafond Annuel de la Sécurité Sociale). »

Dans le cadre de la Sécu aujourd’hui les conséquences pour l’employeur dans le cas d’une rente en AT/MP avec faute inexcusable sont essentiellement financières puisqu’il doit prendre en charge toutes les sommes engagées par la Sécurité sociale pour la victime, l’employeur doit « s’acquitter des sommes dont il est redevable à raison des L.452-1 à L.452-3 du code de la Sécurité Sociale » « …L’auteur de la faute inexcusable est responsable sur son patrimoine personnel des conséquences de celle-ci. » article L.452-4 du même code. Ces sommes peuvent être conséquentes lorsqu’il s’agit d’aménager un logement par exemple.

En général, pour couvrir ce risque, les employeurs prennent des assurances qui peuvent leur coûter cher. C’est d’ailleurs un des constats du relevé qui fait état « d’un taux très important de couverture assurantielle des entreprises en matière de faute inexcusable dans le cadre de leur assurance Responsabilité civile professionnelle. » .

Or la phrase suivante du relevé de décision nous parait plus qu’inquiétante : « le contenu de l’article L.452-3 du code de la Sécurité Sociale devra être ajusté afin de tenir compte du périmètre du DFP indemnisé au titre de la part fonctionnelle de la rente. En effet, les souffrances physiques et morales endurées post-consolidation prévues à l’article L.452-3 du code de la Sécurité Sociale seront indemnisées par la part fonctionnelle de la rente (DFP). »

SI notre lecture est bonne cela voudrait dire que ce capital forfaitisé et limité serait en gros un solde de tout compte sur la partie DFP pour les victimes d’AT/MP même dans le cadre de la faute inexcusable. Ainsi l’employeur reconnu fautif ne prendrait plus en charge personnellement financièrement la totalité du préjudice fonctionnel du salarié victime, ce coût serait mutualisé puisque pris en charge par la branche AT/MP. Ainsi cette mesure limiterait considérablement l’impact financier pour l’employeur et limiterait le montant de l’assurance qui le couvre dans le cadre de la faute inexcusable.

Comme pour les indemnités dans le cadre du licenciement pour inaptitude (négociation du printemps dernier) – voir communiqué FNPOS CGT du 2 mai 2024, le patronat se sert de la branche AT/MP de la Sécurité sociale comme d’une assurance qui lui permettrait de mutualiser ses risques financiers. 

Le cynisme n’a pas de limite !!!

Rappelons que les victimes d’AT/MP sont les travailleurs et que la Sécurité sociale doit leur être entièrement dédiée.

3 – De nouvelles mesures sans moyens supplémentaires

Ce relevé de décision est sans appel sur la question du financement qui doit rester dans une enveloppe verrouillée. Il est noté que « dans un souci pragmatique de soutenabilité financière de la branche » ces nouvelles propositions « doivent s’appuyer sur la réaffectation des budgets et sur les excédents de la Branche AT/MP. L’amélioration de la réparation ne doit pas entraîner une augmentation du taux moyen national des cotisations » (p7)

Au final l’étude d’impact évalue à 250 millions d’euros ces mesures pour 2025 ce qui est dérisoire pour une réelle amélioration des rentes et alors qu’en parallèle en 2023, la caisse AT/MP enregistrait un excédent de 1,4 milliards d’euros !!! Une réelle amélioration des rentes ne peut résulter d’un tel verrouillage budgétaire, c’est donc de l’enfumage.

C’est d’ailleurs par « pragmatisme » que le texte entérine l’abandon d’une revalorisation des rentes viagères professionnelles.

Il n’y a aucune volonté dans ce texte d’une amélioration de la réparation malgré l’affichage qu’il en est fait.

4 - La prévention : un miroir aux alouettes

La question de la prévention reste un miroir aux alouettes. Pour preuve, les soi-disant 20% d’embauche supplémentaire dans les services de prévention des CARSAT qu’agitaient les signataires de l’ANI AT/MP en mai 2023 comme avancée sont tombés à l’eau. La FNPOS CGT avait alerté par rapport à cette proposition qui n’engageait personne puisque ce sont les COG (Convention d’Objectif et de Gestion) passées entre la sécu et l’Etat qui peuvent acter des moyens humains supplémentaires. De plus les effectifs dans ces services ont été tellement réduits lors des précédentes COG que ces 20% de personnel supplémentaire seraient largement insuffisant.

Coup de l’opération la CGT vient de voter contre la COG AT/MP car les comptes n’y sont pas :

l’augmentation n’est que de 10% soit 197 postes alors que nous avons perdu 100 postes depuis 2022. Autant dire que sans surprise la montagne accouche d’une souris.

5 – Rien sur la sous-déclaration des AT/MP

Enfin aucune proposition n’est faite sur la sous-déclaration des AT/MP alors que cette problématique est capitale. Rappelons que plus de 600 000 AT sont probablement non déclarés souvent par pression des employeurs.

Aucune analyse, ni proposition ne sont faites concernant les AT mortels alors que 2024 sera une année noire pour les morts au travail avec au moins 157 accidents mortels entre janvier et avril, soit 30 à 40 décès de plus qu’à la même période les années précédentes comme le montre un article de l’Humanité du 18 juin dernier.

Pour toutes ces raisons la FNPOS CGT est opposée à la signature de ce relevé de décisions du comité de suivi de l’ANI AT/MP qui remet en question les droits des travailleurs victimes d’AT/MP.

Nous devons alerter et nous mobiliser contre un texte avant tout favorable au patronat qui le sécurise financièrement et le déresponsabilise de ses obligations fondamentales. C’est un texte qui enlèverait le droit aux victimes de pouvoir prétendre à une indemnisation supplémentaire.

A ce titre un réel travail doit être engagé concernant les sous-déclarations et une véritable amélioration de l’indemnisation des rentes AT/MP

IL EST URGENT DE RAPPELER QUE LA BRANCHE AT/MP DE LA SÉCURITÉ SOCIALE EST EXCLUSIVEMENT DÉDIÉE AUX TRAVAILLEURS AFIN DE RÉPARER ET PRÉVENIR LES AT/MP.