Évaluations, certifications…
Quand les élus et mandatés doivent légitimer leur activité syndicale !
Contexte :
Nous voyons se multiplier depuis la loi de 2008 sur le développement du dialogue social des expérimentations ou/et des négociations tant au niveau national que local qui visent soit à « encadrer » la pratique syndicale en la soumettant à des normes managériales libérales, soit à court-circuiter les actions contre la discrimination en instrumentalisant les représentants des salariés.
Avec la mise en place du CSE, les ordonnances Macron entrainent un bouleversement profond dont les conséquences sont l’affaiblissement des IRP et la redéfinition du champ de la négociation. Elles sont l’aboutissement d’un travail de déstructuration du syndicalisme entamé depuis des années qui s’est accéléré depuis 2013 avec l’ANI sur la compétitivité et la sécurisation de l’emploi, les lois Rebsamen et El Khomri…
Nous avons pu voir les pouvoirs publics s’emparer progressivement du sujet de la reconnaissance des compétences acquises dans l’exercice d’un mandat, du fait en particulier de la multiplication de jugements contre la discrimination syndicale. La jurisprudence initiée par le syndicat de Peugeot en 1996 et la validation progressive par les juges de la « méthode Clerc » a joué un rôle de déclencheur et de catalyseur de mobilisations individuelles et/ou collectives. Dans l’objectif affiché de prévenir la discrimination syndicale et de rendre plus « attractif » l’engagement militant, le législateur est intervenu sur ce sujet en particulier au travers de deux lois :
La loi du 20 août 2008, relative à la rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail précise qu’un accord doit déterminer les mesures à mettre en œuvre pour « prendre en compte l’expérience acquise dans le cadre de l’exercice de mandats par les représentants du personnel désignés ou élus dans leur évolution professionnelle » (art. L. 2141-5).
La loi du 17 août 2015, relative au dialogue social et à l’emploi prévoit que l’Etat doit dresser une liste de compétences correspondant à l’exercice d’un mandat de représentant du personnel ou d’un mandat syndical. (L. 6112-4). L’élaboration de ce référentiel a été confiée à l’Afpa et est à l’origine d’un arrêté du 18 juin 2018 portant sur la création d’une certification relative aux compétences acquises dans l’exercice d’un mandat de représentant du personnel ou d’un mandat syndical.
L’article 33 de la loi « El Khomri » du 8 août 2016 a introduit dans le code du travail que « les salariés et les employeurs ou leurs représentants peuvent bénéficier de formations communes visant à améliorer les pratiques du dialogue social dans les entreprises, dispensées par les centres, instituts ou organismes de formations ».
Évaluation des élus et mandatés, décryptage et enjeux
L’évaluation des mandatés
Au sein de notre fédération, nous voyons se multiplier, souvent dans le cadre des accords sur le dialogue social, des négociations sur la mise en place d’outils d’évaluation des élus et mandatés. Il s’agit d’entretiens croisés menés séparément par l’employeur et un représentant syndical sur la base d’une grille sur le modèle de celle de l’entretien professionnel. Nous allons, par exemple, retrouver dans cette grille une case négociation : « évalué l’action permettant de parvenir à un accord au terme d’un entretien ou d’une réunion…chercher un compromis ». Les compétences sont notées de 1 à 4 c’est-à-dire de Non acquis à Maîtrisé. Selon la note, un « plan d’accompagnement » pourra être mis en place.
Ces supports d’évaluation sont tout simplement une transposition dans le champ syndical des référentiels du monde professionnel. C’est l’individualisation de l’action syndicale alors qu’un élu mandaté porte une parole collective. Comme dans le champ professionnel l’individualisation renvoie à un rapport de subordination avec l’employeur, ce rapport déséquilibré tend à le faire renoncer progressivement à ses propres valeurs pour « adhérer aux valeurs de l’entreprise ».
A travers les différents items des grilles d’évaluation il y a une volonté affichée de façonner le représentant du personnel « idéal » préférant le compromis à la rupture dans un dialogue social paisible et consensuel. Cela institue une standardisation de l’action syndicale qui oriente le mandat. C’est une institutionnalisation de la fonction d’élu et mandaté qui va à l’encontre de l’autonomie et de la liberté syndicale.
Il existe une confusion entre « évaluation » et « reconnaissance et valorisation des compétences » des élus et mandatés. Le recensement de compétences doit être entendu comme un constat objectif de la réalité considérée à un instant donné, ce qui s’oppose fondamentalement à l’évaluation qui consiste à produire un jugement de valeur ou d’acceptabilité de ladite réalité.
Recenser les compétences acquises dans l’exercice de son mandat n’implique aucunement d’évaluer l’activité de l’intéressé. Ces accords s’éloignent donc considérablement de la loi qui pose le principe de reconnaissance des compétences dans le but d’une valorisation.
Formations communes employeurs/représentants du personnel sur la négociation collective
Le rapport Combrexelle en 2015 tout comme Le CESE (conseil économique et social et environnemental) à travers un avis de mai 2016 recommandaient le développement d’une culture commune du dialogue social. C’est dans ce contexte qu’a émergé l’article 33 de la loi « El Khomri » du 8 août 2016 vu précédemment. L’objectif général de ces formations communes est « le développement d’une culture du dialogue et de la négociation, en confrontant les regards et en questionnant les acteurs sur leur représentation du dialogue social ».
Le contenu de cette formation se situe à trois niveaux :
- Partage des enjeux économiques et sociaux : construction d’un diagnostic « le plus partagé possible », il s’agit de « mettre les stagiaires en capacité de mieux saisir le cadre et le contexte économique dans lesquels opèrent les chefs d’entreprises » et de « faire le lien avec le partage de la valeur ajoutée ».
- Dynamique de la négociation collective : « partager des points de repère communs à la fois sur le dialogue social et la négociation collective »
- Sécurisation juridique : doter les parties d’une « bonne connaissance juridique » afin qu’elles puissent « s’assurer de la conformité juridique des accords issus de la négociation » à leur niveau.
Ces formations remettent en question la formation syndicale telle que nous la concevons à la CGT. Tout d’abord, sous couvert de neutralité, elles transmettent une analyse libérale de notre société économique et sociale. Elles ont essentiellement pour but de persuader les syndicalistes du bien fondé d’accords basés sur la régression sociale et de les faire adhérer à la doctrine capitaliste. Ces formations s’emploient également à « éduquer les militants à la bonne attitude » qu’il convient d’avoir autour de la table de négociation.
Certification des compétences acquises dans l’exercice d’un mandat
Arrêté du 18 juin 2018 portant sur la création de la « certification relative aux compétences acquises dans l’exercice d’un mandat de représentant du personnel ou d’un mandat syndical» :
Pour obtenir cette certification il faut valider six certificats de compétences professionnelles (CCP) dans six domaines différents. Chaque certificat peut être passé individuellement et donnera droit à un livret de certification :
- Encadrement et animation d’équipe
- Gestion et traitement de l’information
- Assistance dans la prise en charge de projet
- Mise en œuvre d’un service de médiation sociale
- Prospection et négociation commerciale
- Suivi de dossier social d’entreprise
Chaque certificat (CCP) s’appuie sur un référentiel de compétences transférables. La certification est obtenue par validation de l’ensemble des CCP. Pour être « candidat » il faut justifier de l’exercice d’un mandat de représentant du personnel ou d’un mandat syndical au cours des cinq années précédant la session d’examen, quelle qu’en soit sa durée.
L’évaluation est faite par un jury composé de membres habilités par le directeur régional de la DIRECTTE :
- Un membre issu d’une organisation syndicale représentative.
- Un professionnel habilité.
Cette évaluation se base sur :
- Une production écrite
- Une présentation orale
- Un questionnement s’appuyant sur un guide d’entretien
Aucun de ces certificats ne permet pas l’obtention d’un titre professionnel dans sa globalité mais peut permettre d’obtenir des dispenses dans le cadre d’une démarche VAE.
Là encore nous nous questionnons sur l’objectif et les enjeux de cette « pseudo » reconnaissance qui ne permet pas d’obtenir de titre professionnel. Il s’agit d’une démarche très lourde pour un militant qui doit assurer par ailleurs ses mandats. De plus l’évaluation des CCP est laissée à la main d’un employeur et d’un représentant syndical (lequel ?), ce qui pose la question de l’objectivité du résultat. Rien n’oblige les employeurs à tenir compte et valoriser ces certifications dans l’entreprise.
Conclusions
Le danger est grand que ces soi-disant reconnaissances se retournent contre les élus et/ou mandatés en empêchant les procès de discrimination syndicale qui n’auront plus lieu d’être. Dans une logique individualiste, ces outils placent l’élu et le mandaté dans un lien de subordination qui va à l’encontre de la liberté syndicale et des statuts de la CGT.
La mise en place du CSE diminue drastiquement le nombre d’élus et leurs droits alors que la négociation locale devient la règle, ces outils viennent entériner un syndicalisme institutionnalisé accompagnant un simulacre de dialogue social. Si nous laissons faire, nos militants seront individuellement fragilisés et laissés démunis face à leur avenir professionnel et syndical.
Pour toutes ces raisons, notre fédération s’est dotée d’un groupe fédéral en charge de travailler sur ces questions et de produire un contenu revendicatif fédéral à opposer à ces dérives dans le cadre des négociations qui ne manqueront pas de s’ouvrir dans toutes nos branches, organismes et entreprises. Ces travaux en cours feront l’objet d’une validation puis d’une communication.